Présentation

Le projet PRELIA, dédié à l’exploration des revues littéraires et artistiques de la période 1870-1940, est né de la volonté de synthétiser les informations concernant ces périodiques, afin d’offrir à la communauté scientifique un outil d’analyse sur un corpus très vaste.

Etat des lieux

Les revues littéraires et artistiques de cette période, publiées par de jeunes artistes de manière éphémère et en tirage limité, en marge des courants institués, font l’objet de travaux de plus en plus nombreux. Elles représentent en effet, comme le remarque Remy de Gourmont (l’un des fondateurs du Mercure de France), le véritable lieu de la création littéraire et artistique à cette époque : « La science complète des revues est difficile, et je ne la possède qu’en partie : c’est pourtant la seule source authentique, depuis un siècle, de notre histoire littéraire[1]. » Beaucoup de revues sont créées à partir de la deuxième moitié des années 1880, profitant des conditions très favorables de la presse à cette époque. Dans le contexte de la mise en réseau des pratiques littéraires à la fin du siècle, les écrivains d’avant-garde se distinguent de la littérature industrielle et de son système économique en instituant cercles, cénacles, en se constituant en groupes réunis autour de petites revues ; ces organes deviennent des vitrines essentielles dans une nouvelle économie de l’avant-garde[2]. Une revue comme La Plume fait partie d’un système complexe reliant une maison d’édition, des expositions, des ventes d’affiches, des galeries, des soirées littéraires ; ce système s’affiche dans les pages d’annonces de la revue elle-même.

Elles sont aussi un lieu d’échange fécond entre les nations, accueillant les premières traductions d’œuvres essentielles et les débats politiques qui agitent l’Europe ; la renommée de Nietzsche en France se construit ainsi à travers elles.

Mais, si ces périodiques intéressent un nombre croissant de chercheurs dans le cadre de projets internationaux (Modernist Magazine Project, travaux d’Evanghélia Stead et d’Hélène Védrine…), les informations permettant de les étudier sont dispersées. L’accès aux revues elles-mêmes reste singulièrement limité : la plupart sont en effet extrêmement fragiles et mal conservées, les collections sont incomplètes et font souvent partie de fonds faisant l’objet d’un accès restreint. Les revues numérisées sont le plus souvent les revues les plus connues, et même dans ce cas, leur présentation est souvent incomplète (numérisation des reprints et non des originaux, perte d’informations – couvertures, images, couleurs, papiers…). L’exemple de la numérisation d’une revue aussi importante que La Revue blanche dans Gallica est frappant : la numérisation a été effectuée à partir des reprints publiés par Slatkine, sans respect du format de la revue ni de la qualité des illustrations. On remarquera en particulier l’absence d’éléments essentiels pour l’analyse de la revue : les couvertures, les sommaires bimensuels, les pages d’annonces, certains suppléments… Le sommaire proposé est produit de manière automatisée et est souvent fautif.

Un autre grand écueil de ces projets de numérisation est leur absence de normalisation : si de nombreuses bases de données textuelles et iconographiques incluant des revues sont consultables à distance, grâce à des initiatives privées (Google Books…) ou publiques (Gallica, Europeana, INHA…), leurs modalités d’accès sont loin d’être parfaites : on constate la multiplication des standards de fichiers, la privatisation de certains chantiers, l’absence d’outils permettant d’accéder simultanément à plusieurs bases, le manque de visibilité des résultats engrangés. Les entreprises privées proposent des numérisations produites selon une logique commerciale et sans culture bibliothéconomique ; l’idée de collection est absente de leurs préoccupations, ce qui génère des bases de données non structurées dont certains documents sont quasiment invisibles pour les usagers. La mise en place d’un protocole de diffusion des métadonnées par le protocole OAI-PMH (Open Archives Initiative’s Protocol for Metadata Harvesting) entre la bibliothèque Gallica et d’autres institutions a permis une meilleure visibilité de documents auparavant dispersés dans plusieurs bases, mais les résultats sont loin d’être faciles à analyser. La présentation de ces résultats rend impossible toute forme de recherche statistique valide.

Le projet PRELIA cherche à résoudre ces difficultés en proposant une plateforme permettant d’unifier les données sur ces objets et permettre de véritables investigations scientifiques.

Base de données

Le premier objectif du projet PRELIA est la production d’une base de données en ligne de plus de 300 revues afin de présenter un tableau aussi complet que possible des périodiques de cette période ; chacune de ces revues fait l’objet d’une description qui bénéficie du format numérique, avec sommaires exhaustifs, liste des collaborateurs et classifications par genres, afin d’offrir le plus d’entrées possible aux chercheurs et d’offrir un outil mis à jour régulièrement. 25 revues sont en cours de dépouillement, pour un total de plus de 5000 articles signalés et presque 2000 collaborateurs recensés : http://prelia.fr/base/opac_css/

La base a été construite à partir du logiciel libre PMB, un système intégré de gestion de bibliothèque (SIGB) qui respecte les normes internationales, autorisant ainsi des échanges de données, l’import et l’export des informations dans les formats traditionnels comme UNIMARC, mais aussi l’utilisation de la base avec des outils de moissonnage de métadonnées comme Zotero. Ces données peuvent être interrogées à partir du catalogue PRELIA, mais peuvent également être extraites en interrogeant directement la base MySQL. On peut ainsi produire des tableaux autorisant des analyses statistiques ou intégrer ces données directement dans des modules de visualisation créés à cet effet qui permettant aux utilisateurs de la base de générer des graphiques à partir des objets qui les intéresse. On peut également effectuer des recherches par auteur, mot-clef, etc.

Pour chaque revue, on a accès à une fiche signalétique (comité de rédaction, dates de publication, format, sources, bibliographie…) et à un dépouillement de ses numéros, avec plusieurs exigences : le dépouillement est effectué de manière systématique, avec un feuilletage de la revue, une comparaison de son sommaire avec le contenu effectif du numéro, un classement générique, une indexation thématique et un résumé par le biais de mots-clefs.

Afin de montrer que ces « petites » revues sont loin d’être isolées dans la production de périodiques de l’époque, la base ne se limite pas strictement aux revues les plus obscures, mais intègre des revues d’une audience plus large, aussi bien dans les champs littéraires qu’artistiques, afin de mettre en lumière les glissements des collaborateurs, les modes des thèmes abordés, etc.

Outils de visualisation dynamiques

Le deuxième objectif de la base de données est de rendre visibles ces résultats qui sont difficilement analysables du fait de leur ampleur même. Le site offre plusieurs outils informatiques développés spécifiquement pour l’analyse de corpus de revues, permettant des analyses statistiques, aussi bien au niveau des revues et des auteurs pris isolément que d’un point de vue sociologique (mise en relief de réseaux humains et géographiques) et lexicométrique. Plusieurs outils de visualisation statistiques dynamiques ont déjà été développés et sont utilisables à partir de cette adresse : http://prelia.hypotheses.org/66

Les graphiques sont créés à partir des requêtes de l’utilisateur, en temps réel, à partir de l’état actuel de la base ; la précision des réponses s’améliorera au fur et à mesure que les informations dans la base augmenteront. On trouve pour l’instant cinq méthodes d’interrogation ; tous ces outils sont encore au stade expérimental.

La structuration de la base de données permet d’autres types d’extraction ; on peut imaginer par exemple des visualisations de la place de certains genres au sein des revues, des études portant sur l’origine de leurs collaborateurs, etc.

Réseaux et communautés

À partir des extractions concernant les collaborateurs des revues, on peut également étudier des phénomènes de sociabilité littéraire et de réseaux d’artistes et d’écrivains. Daphné de Marneffe insiste sur le « rôle de “nœud de sociabilité littéraire” des revues », qui contribuent à la formation d’un réseau à deux dimensions : « la dimension humaine (une question de relation entre groupes : le “réseau social”) et la dimension textuelle (une question de citation, de renvoi textuel : le “réseau intertextuel”). »[3] Certains outils informatiques permettent précisément, à partir de la base de données PRELIA, de proposer des analyses prenant en compte l’ensemble des collaborateurs de ces revues, selon leur implication plus ou moins grande (mesurée par leur nombre de contributions) à tel ou tel titre.

 

Numérisation et lexicométrie

Le troisième objectif du projet PRELIA est la numérisation de ces revues, afin de rendre visibles certains aspects mal connus de ces périodiques (couvertures, publicités, matérialité…) et de remplir les zones d’ombre des numérisations actuelles, qui masquent des pans entiers de la culture littéraire et artistique passée à cause des difficultés de numérisation de ces documents. Ce corpus numérique offre de nouvelles perspectives de recherche par le biais d’outils d’analyse statistique et lexicométrique sur une grande échelle. Il s’agit également de donner à ce projet un aspect pédagogique par l’implication des étudiants de Master dans l’édition collective en ligne de ces revues. Cette édition bénéficie de fonctionnalités permettant une appropriation aisée des textes par les lecteurs : mots-clefs, recherche intégrale, indexation… Le Mercure de France est la première revue éditée de cette manière, par le biais d’un wiki : www.mercurewiki.fr

 

Manifestations

Le projet PRELIA a également donné lieu à des manifestations scientifiques sur les petites revues, afin de proposer de nouvelles approches de ces phénomènes. Deux journées d’études ont eu lieu : « Les revues littéraires et artistiques (1870-1940) Perspectives méthodologiques et apports critiques » le 15 juin 2012 : http://prelia.hypotheses.org/94 et « L’Image reproduite : techniques et valeurs (1870-1930) » le 20 juin 2013 : http://prelia.hypotheses.org/85

Le projet PRELIA doit ainsi donner une visibilité nouvelle aux petites revues, par le biais de colloques et de publications offrant des perspectives de recherche inédites et par la reconstitution virtuelle des collections éparses et incomplètes de petites revues actuellement disponibles, en s’intéressant aux documents qui n’ont pas été numérisés ou ont été mal numérisés, à partir de fonds existants qui ne sont pour l’instant pas valorisés dans certaines institutions ou à partir de collections privées. La publication des actes et le travail d’édition menés sur les petites revues doivent permettre une meilleure valorisation de ces documents et une meilleure appréhension de la dynamique de l’histoire des idées à cette période, que ce soit au niveau des chercheurs ou du grand public.


[1] Remy de Gourmont, « Stéphane Mallarmé », Promenades littéraires, quatrième série, Souvenirs du Symbolisme et autres études (1912), dixième édition, Mercure de France, 1927, p. 14.

[2] Voir Alain Vaillant, L’Histoire littéraire, Armand Colin, coll. Lettres U, 2011, p. 269 et 280 (le « système avant-gardiste »).

[3] Daphné de Marneffe, « Le réseau des petites revues littéraires belges, modernistes et d’avant-garde, du début des années 1920 : construction d’un modèle et proposition de schématisation », COnTEXTES [En ligne], 4 | 2008, mis en ligne le 23 octobre 2008, consulté le 27 octobre 2013. URL : http://contextes.revues.org/3493

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